par Céline Cadieu-Dumont, Directrice des Archives départementales des Vosges, novembre 2025
Dans les Vosges de l’après-guerre de 1870, Jules Méline s’impose comme une figure politique majeure. Avocat à la cour d’appel de Paris, il revient dans son département natal au printemps 1871, élu conseiller général du canton de Corcieux. Dès la première session du Conseil général, il est nommé secrétaire, aux côtés de M. Mathis. Ce rôle, qu’il occupera jusqu’en 1874, lui permet de peser sur les débats et d’en fixer le ton.
Méline se distingue par son souci de rigueur et d’économie. Il propose que « les sujets polémiques soient abordés en une seule fois plutôt qu’en plusieurs », afin de préserver la sérénité des échanges. Il veille à l’équilibre territorial, s’inquiète de la multiplication des foires, qu’il juge « nuisible à l’agriculture et aux communes où elles se tiennent », et défend les petites communes « sans grands moyens ».
Son intervention en 1872 sur les tarifs d’octroi à Remiremont illustre son pragmatisme : « L’arriéré qui existait au début de la guerre, joint aux charges écrasantes de l’invasion, met à la charge de cette malheureuse ville une dette de 400 000 francs. » Il soutient alors une hausse des tarifs pour garantir un emprunt avantageux, tout en défendant une taxation équitable des fromages, y compris ceux de Géromé. Cette position préfigure les « tarifs Méline » de 1892, emblèmes du protectionnisme agricole.
Méline est aussi un fervent défenseur de l’instruction publique. En 1873, il s’oppose à ceux qui rejettent l’école obligatoire sous prétexte que « le père de famille se trouve forcé de livrer ses enfants à un instituteur qui professerait des idées religieuses contraire aux siennes (…) » Méline insiste : « L’enfant ignorant devient plus tard un homme sauvage capable de tous les excès (…) Avec le suffrage universel l’instruction obligatoire est une nécessité. » Il soutient Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique, et présente en 1881 le budget de l’école normale d’institutrices, tout en plaidant pour une école de filature et de tissage.
En 1882, il propose de doubler le crédit pour les cours d’adultes assurés par les instituteurs et institutrices, soulignant que « beaucoup d’entre eux n’ont reçu qu’une rétribution dérisoire ». Il réclame aussi le renouvellement des bibliothèques scolaires : « Il devient urgent d’introduire quelques ouvrages nouveaux qui tiennent en éveil l’attention du public.»
Méline ne néglige pas les questions sociales. Il soutient la création de bureaux de charité et d’hospices, affirmant que « mieux vaut nourrir un infirme sans travail à l’hôpital qu’en prison ». Il plaide pour une réinsertion des vagabonds et anciens détenus : « Avant de les condamner à la déportation, il faut au moins que la société leur ait fourni le moyen d’échapper à la condamnation. »
En 1876, il est élu député de Remiremont, puis nommé secrétaire d’État à la Justice et aux Cultes dans le gouvernement Jules Simon. Après la crise du 16 mai 1877, il est réélu face à Krantz, maire de Saint-Nabord, et lance : « À enragé, enragé et demi ! »
En 1883, Jules Ferry le nomme ministre de l’Agriculture. Méline propose un crédit agricole pour soutenir la petite culture, et réclame une chaire de sylviculture à Mirecourt. Il initie aussi la création de stations météorologiques, soulignant que « la météorologie télégraphique a fait de très sérieux progrès ».
De 1871 à 1883, Jules Méline aura été bien plus qu’un élu : un artisan de la République rurale, sociale et éducative, dont les mots résonnent encore comme ceux d’un homme de terrain, lucide et engagé.
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